Théocentrisme "et" anthropocentrisme

Publié le par Père Maurice Fourmond

Essai

Théocentrisme et Anthropocentrisme

 

    Voici quelques réflexions à partir d’un dialogue entendu sur Radio Notre-Dame le vendredi 1er novembre 2013. L’un des interlocuteurs disait en substance : l’anthropocentrisme est une hérésie selon la pensée chrétienne, seul le théocentrisme est chrétien.

 

    Je ne me sens pas tout à fait en accord avec ces propos. Pourquoi opposer l’anthropocentrisme au théocentrisme ? La thèse de l’intervenant était, semble-t-il, que seul Dieu est le centre de la vie humaine, celle-ci n’ayant de sens qu’en référence au Dieu de Jésus Christ. La parole de l’apôtre Paul dans sa lettre aux Romains lue le 2 novembre pourrait aller dans le même sens ; Paul dit en effet : «Si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur, si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur : soit que nous vivions, soit que nous mourrions, nous sommes au Seigneur» Rm 14, 8. Toutefois la Révélation du Dieu de Jésus demande, je pense, de nuancer ces affirmations. 

 

    Il est vrai que, pour le croyant, c’est Dieu, créateur de l’univers qui en est le centre et lui donne son sens. Toutefois on ne peut pas séparer, comme but de l’homme, la gloire de Dieu de l’accomplissement de l’humain. Pourquoi ? L’argument essentiel vient de la Révélation du Dieu de Jésus comme étant l’amour même ainsi que l’affirme l’apôtre Jean dans sa première lettre. Or, comme l’évangile d’ailleurs le rappelle (Lc 11, 11-13) si les parents humains ne recherchent pas autre chose que le bien de leur enfant (c’est leur enfant et non pas eux qui est important), à plus forte raison notre Père du ciel. Ce qui importe à Dieu, c’est la pleine réalisation de notre humanité qui, certes, s’accomplit définitivement dans le partage de sa vie éternelle.

 

    Ainsi il ne faut pas opposer l’accomplissement de l’homme et la gloire de Dieu. Comme pour la plupart des affirmations évangéliques, il faut accepter le paradoxe de la préposition «et» et non l’exclusion de la conjonction «ou». Le but de l’être humain est à la fois son accomplissement «et» la gloire de Dieu notre Père. On dira : comment peut-on avoir deux centres en nous, l’un humain et l’autre divin. Mais n’est-ce pas ce que nous révèle l’Incarnation en Jésus de Nazareth. Notre foi affirme que la personne de Jésus se réfère à deux centres l’un humain et l’autre divin, «sans séparation et sans confusion» puisque notre foi nous dit que le Christ est à la fois totalement homme et totalement Dieu.

 

    C’est pourquoi il me parait nécessaire d’affirmer à la fois un anthropocentrisme et un théocentrisme. N’est-ce pas d’ailleurs la parole si forte et si juste de Saint Irénée qui dit : «La gloire de Dieu c’est l’homme vivant et la vie de l’homme est la vue de Dieu».

 

    Ceci est essentiel pour comprendre la tâche qui est impartie à l’homme, chrétien ou non : il s’agit de travailler à la pleine humanisation de notre humanité dont l’achèvement est bien sûr la participation à la vie éternelle de ce Dieu qui est l’amour même. Ainsi, en accomplissant notre humanité, nous disons la gloire de Dieu et nous répondons à son projet d’amour. C’est ainsi que nous vivons ce paradoxe de la vie chrétienne : tout est de Dieu, tout est pour Dieu mais aussi tout est de l’homme et tout est pour l’homme. C’est d’ailleurs ce que conseille tous les grands mystiques : tout faire comme si tout dépendant de nous et tout faire comme si tout dépendant de Dieu.

 

    Dans son homélie de dimanche dernier, un prêtre commentait la phrase de Jésus : «Quant à dire que les morts doivent ressusciter, Moïse lui-même le fait comprendre dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur : le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob». Ce prêtre disait très justement : en disant que Dieu est le Dieu d’Abraham, Jésus ne se plaçait pas d’abord au niveau de la foi d’Abraham, mais plus profondément Jésus voulait dire que Dieu associait le nom d’Abraham à son propre nom comme le nom de chacun de nous. Ainsi Dieu ne peut séparer son nom c’est-à-dire sa vie du nom, de la vie d’Abraham ; Dieu ne peut pas séparer son nom, sa vie du nom et de la vie de chacun de nous.

 

    Quelle magnifique espérance nous est ainsi annoncée et quelle belle tâche est confiée à notre humanité.

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