"La Joie" Session Abondance 2016 topo 2

Publié le par Père Maurice Fourmond

Abondance 2016

 

2ème rencontre : mardi matin 12 juillet

 

    Nous voudrions réfléchir sur la place de Dieu dans la construction heureuse de ma vie. Deux questions pour amorcer notre réflexion :

1-Quelle est la place de Dieu dans mon bonheur et dans mes moments de joie ?

2- Est-ce que croire m’apporte de la joie ?

 

    Nous voulons donc réfléchir sur la place de Dieu dans la construction heureuse de ma vie. La première chose qu’il convient de dire est que Dieu est un être de joie. Comment pouvons-nous affirmer cela ? Déjà les premiers chapitres de la Genèse nous y invitent. À travers l’expression reprise à chaque jour de la création « et Dieu vit que cela était bon », et même à la fin de la création : « Dieu vit tout ce qu’il avait fait. Voilà, c’était très bon » (Gn 1, 31). Comment ne pas penser que cette bonté reconnue soit source de joie pour Dieu. N’est-ce pas d’ailleurs notre propre expérience : devant ce que nous découvrons comme bon pour nous, naît en nous un certain bonheur et même une véritable joie.

    Mais plus encore, la révélation chrétienne d’un Dieu amour nous invite à voir en Dieu une intense jubilation. En effet, la révélation qui nous permet de penser que l’être même de Dieu est relation d’amour, nous invite également à penser que l’amour du Père pour le Fils bien aimé et l’amour du Fils pour le Père sont sources d’une joie intense en Dieu. C’est l’Esprit Saint qui assure en Dieu cette relation d’amour. C’est pourquoi, en Dieu comme en nous, l’Esprit Saint est la source de toute joie. Bien sûr nous n’avons que des paroles humaines pour évoquer la joie de Dieu, mais là encore, notre petite expérience nous invite à penser que la prise de conscience qu’on est aimé en vérité par quelqu’un, nous procure une joie profonde. Certes cette prise de conscience n’est pas toujours ressentie en permanence, mais suffisamment pour dire que l’amour reçu et donné est une source intarissable de joie.

    Alors comment ne pas penser que Dieu vit une éternité de joie dans l’amour donné et reçu entre le Père et le Fils, un amour infini et éternel, et la Révélation nous dit que c’est l’Esprit Saint qui habite ce lien d’amour et procure la joie de Dieu. L’Esprit Saint en effet est cet « entre deux » dont nous parlent tous les psychologue lorsqu’ils définissent l’amour entre deux êtres. Mais il faut aller plus loin et dire que cette joie qui habite Dieu dans son être même Dieu la ressent à cause de ceux qu’il aime comme ses enfants. Notre existence d’enfants de Dieu lui apporte la joie. Le prophète Isaïe a une parole merveilleuse sur la joie que nous pouvons apporter à Dieu ; c’est au chapitre 62 : « Comme la jeune mariée fait la joie de son mari, tu seras la joie de ton Dieu » Is 62, 5. Comment ne pas nous réjouir de cette joie de Dieu que lui procure notre vie humaine même si cette joie de Dieu est blessée par nos épreuves et notre péché.

 

    Notre foi nous dit que cette joie de Dieu nous est communiquée puisque nous sommes habités par un amour qui a sa source en Dieu. Ceci nous est dit explicitement dans ce passage de Jean : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi, j’ai gardé les commandements de mon Père, et je demeure dans son amour. Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite » Jn 15, 9-11. Nous croyons que, dès le premier instant de notre vie, chaque être humain est aimé de Dieu et cet amour divin laisse une trace en chacun de nous en sorte que, créés à l’image de Dieu, nous soyons capables d’aimer un peu comme lui. Chaque fois que cet amour vrai et donc divin circule entre nous et dans le monde, nous est offerte la joie même qui habite l’être de Dieu. De même que c’est celui que nous appelons Esprit Saint qui est le lien d’amour en Dieu, de même c’est l’Esprit Saint qui, habitant la vie de tout être humain, lui donne d’aimer et donc est la source même de sa joie.

    Dans la parabole des serviteurs fidèle qui ont fait fructifié le talents de leur maître, celui-ci leur dit «Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur » Mt 5, 21. Cette joie de ton seigneur dont parle l’évangile n’est autre que la joie éternelle de Dieu. Cette joie, il nous est donné de la ressentir dès maintenant lorsque devant Dieu nous remettons notre vie entre ses mains. N’est-ce pas la parole que nous disons dans la prière des Complies : « Entre tes mains je remets ma vie ». À ce moment, nous sommes comme le serviteur fidèle et il nous est donné d’entrer dans la joie de Dieu.

 

    Bien sûr, nous ne ressentons pas toujours cette puissance d’aimer qui fait naître une jubilation qui s’apparente à celle de Dieu. Je crois cependant que cela nous est donné parfois dans des moments privilégiés. On peut éprouver une joie intense devant un amour reçu et donné et, pour le croyant, cette joie peut être référée à une joie infinie ou plutôt à une joie éternelle. Dans ces moments, nous sommes profondément unis à Dieu dans sa joie.

    Je pense que c’est ce que les grands mystiques ont tenté de décrire lorsqu’ils avaient une telle communion avec Dieu qu’ils étaient comme « transportés ». Certes, pour en rendre compte, pour communiquer ce qu’ils ont ressenti, ils devront utiliser le langage des hommes. Lorsque l’apôtre Paul nous parle de ses visions (2 Co 12, 2…), il ne sais pas comment les décrire ; il a éprouvé une révélation de la part de Dieu mais quand il veut en parler, il n’a que de pauvres mots humains : « cet homme-là fut enlevé jusqu’au troisième ciel… était-ce dans son corps ? était-ce sans son corps, je ne sais… et il entendit des paroles inexprimables ». 

    Tous les mystiques font la même expérience d’un don de Dieu éprouvé, mais quand ils veulent en rendre compte, les mots humains qu’ils utilisent leur apparaissent dérisoires. Et pourtant, c’est toujours avec leurs mots humains que nous pouvons approcher la réalité de leur expérience de rencontre avec Dieu. Ces mots font tous référence à une joie extraordinaire éprouvée dans la communion avec leur Seigneur. Cela est vrai de tous les mystiques, de Thérèse d’Avila à Blaise Pascal dont on connait l’admirable récit dans son Mémorial (23 novembre 1654) « Joie, joie, joie, pleurs de joie». Récemment un écrivain philosophe, Éric-Emmanuel Schmitt nous rapporte sa « nuit de feu » dans le désert du Hoggar, il ne peut le faire qu’avec des mots humains comme « je m’élève… d’où vient cette force qui m’a placé si haut et m’y maintient…Une paix m’envahit… Joie. Flamme… J’épouse la lumière… » Pendant plusieurs pages, Éric-Emmanuel tente de décrire ce qu’il a ressenti cette nuit là mais les mots sont trop loin de la réalité vécue « Je rageais de constater mon impuissance, écrit-il. Quoi, Dieu m’avait fait un cadeau pareil, et je n’étais pas fichu d’en parler ». C’est le cadeau de la joie reçue.

    Jésus a certainement vécu des moments d’extase et nous en avons un exemple à travers le récit de la transfiguration. Ce que nous en disent les évangélistes passe évidemment par des images et des mots humains : le visage illuminé, le vêtement d’une blancheur éclatante, la présence de deux prophètes Moïse et Élie; la nuée, la parole qui vient de la nuée… Même les trois amis Pierre, Jacques et Jean sont touchés par la joie de Jésus transfiguré ; n’est-ce pas ce qu’ils tentent d’exprimer dans cette parole un peu naïve : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie » Mt 17, 4 ; « il est bon », nous sommes heureux, nous recevons la joie... Et sans doute Jésus a vécu bien d’autre moments d’extase qui sont restés le secret de son coeur.

    Il nous arrive peut-être à nous aussi d’avoir l’une ou l’autre fois dans notre vie ces moments exceptionnels qui nous bouleversent au point que leur souvenir est en nous comme une lumière que rien ne pourra éteindre. Ces instants de lumière, de certitude intérieure, de joie exceptionnelle, nous situent dans une certitude telle que rien ne peut la mettre en doute et elle nourrit tout le reste de notre vie. Mais si nous n’avons jamais eu de tels moments, ce qui est sans doute le cas de beaucoup d’entre nous, Dieu toutefois ne cesse de nous rejoindre par de multiples signes. Cela nous demande de les reconnaître car ces signes se donnent la plupart du temps à travers la banalité d’une vie et non dans des moments exceptionnels.

 

    L’Évangile a beaucoup de paroles qui nous parlent de joie ; nous en avons déjà cité quelques unes, poursuivons notre attention à la joie dans l’évangile. Certes, et une amie me faisait remarquer, nous ne trouvons pas dans les évangiles de manifestations exubérantes de Jésus et je pense que sa joie était plus intérieure sans parler de la réserve naturelle de cet homme. Cela nous invite à comprendre que la joie est le plus souvent non pas spectaculaire, mais ressentie dans le profond, dans l’intériorité de nos vies. Toutefois, Saint Luc nous rapporte une prière de Jésus où sa joie éclate ; c’est au chapitre 10 : « À l’heure même, Jésus exulta de joie sous l’action de l’Esprit Saint, et il dit : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. Oui, Père, tu l’as voulu ainsi dans ta bienveillance » Lc 10, 21.

    À côté de la joie de Jésus, il y a plusieurs passages de l’évangile qui nous parlent de la joie de ceux qui suivent le Christ Jésus comme par exemple Zachée de qui, en réponse à cette invitation de Jésus d’aller chez lui prendre son repas, il est dit : « Vite, il descendit et reçut Jésus avec joie » Lc 19, 6. Parlant de son départ de ce monde, Jésus annonce à ses amis une joie profonde qui leur sera donnée, une joie, nous en avions parlé hier, qui s’apparente à une naissance : « Amen, amen, je vous le dis : vous allez pleurer et vous lamenter, tandis que le monde se réjouira ; vous serez dans la peine, mais votre peine se changera en joie. La femme qui enfante est dans la peine parce que son heure est arrivée. Mais, quand l’enfant est né, elle ne se souvient plus de sa souffrance, tout heureuse qu’un être humain soit venu au monde. Vous aussi, maintenant, vous êtes dans la peine, mais je vous reverrai, et votre cœur se réjouira ; et votre joie, personne ne vous l’enlèvera. En ce jour-là, vous ne me poserez plus de questions. Amen, amen, je vous le dis : ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera. Jusqu’à présent vous n’avez rien demandé en mon nom ; demandez, et vous recevrez : ainsi votre joie sera parfaite » Jn 15, 20-24. Ou encore un peu plus loin en Saint Jean, Jésus dans sa prière parle de sa joie qu’il transmet à ses amis : « Et maintenant que je viens à toi, je parle ainsi, dans le monde, pour qu’ils aient en eux ma joie, et qu’ils en soient comblés » Jn 17, 13.

 

    C’est la joie de ceux qui sont des chercheurs de vérité et qui, lorsqu’ils découvrent une part de vérité, sont remplis de joie. C’est la fameuse parabole du trésor caché : « Le royaume des Cieux est comparable à un trésor caché dans un champ ; l’homme qui l’a découvert le cache de nouveau. Dans sa joie, il va vendre tout ce qu’il possède, et il achète ce champ » Mt 13, 44.

    Enfin la lecture de l’évangile nous ramène aux béatitudes qui constituent comme la charte des disciples de Jésus (Mt 5, 3-12 ; Lc 6, 20-26). Toutes ces recommandations commencent par l’affirmation du bonheur : « Heureux » ou, selon la traduction de Chouraqui « En marche » montrant ainsi que le bonheur est une « marche », un effort pour avancer sur la route de la vie. Le mot traditionnellement traduit en français par «béni» ou « heureux » est dans l'original grec « μακαριος » dont une traduction pleinement littérale serait : « qui possède une joie intérieure incapable d’être affectée par les circonstances qui l’entourent. ». Les béatitudes traduisent la joie intérieure de Jésus et les diverses affirmations ne font que transcrire ce que Jésus a vécu. C’est pourquoi ces béatitudes tracent la chemin de Jésus et celui que ses amis devront suivre afin de garder la même joie intérieure qui habitait le Seigneur Jésus. La dernière béatitude que Saint Luc décrit ainsi : « Heureux êtes-vous quand les hommes vous haïssent et vous excluent, quand ils insultent et rejettent votre nom comme méprisable, à cause du Fils de l’homme. Ce jour-là, réjouissez-vous, tressaillez de joie, car alors votre récompense est grande dans le ciel » Lc 6, 22-23, décrit la vie publique de Jésus et particulièrement sa passion. On peut vraiment penser que Jésus n’a pas quitté cette joie intérieure qui se traduisait en paix même sur la crois. Nous en reparlerons Jeudi. Il arrive que nous interprétions cette Parole de Dieu comme culpabilisante, comme triste alors qu’elle est nous invite comme le dit Saint Luc à « bondir de joie ».

 

    C’est ainsi que nous sommes interrogés et c’est notre seconde question : Est-ce que croire m’apporte de la joie ? Vous connaissez peut-être cette parole d’André Fossion  (Jésuite, théologien, ancien président de l’Institut « Lumen Vitae », centre à Bruxelles de formation catéchétique et pastorale). André Fossion disait : « Dieu n’est ni évident, ni nécessaire, mais il est infiniment précieux ». 

    La non évidence de Dieu est reconnue par tout le monde. André Comte-Sponville écrivait : « Dire Dieu existe ou dire Dieu n’existe pas sont tous les deux  des croyances ». André Comte-Sponville soulignait simplement que Dieu n’est pas l’objet d’une évidence scientifique, cette non évidence permettant d’y adhérer ou de refuser l’adhésion. Si l’existence de Dieu était évidente, elle s’imposerait à toute intelligence raisonnable. Mais Dieu n’est pas non plus nécessaire. Certains non croyants pensent que les chrétiens s’attachant à Dieu parce qu’ils ont besoin d’une béquille pour vivre. Même si nous pouvons penser à l’importance de Dieu dans notre vie, nous constatons que de nombreuses personnes pour qui Dieu n’a aucune place dans leur vie, donnent du sens à leur existence, mènent une vie heureuse et droite. Dieu n’est pas nécessaire pour qu’une personne humaine trouve un sens profond à sa vie. Mais alors quelle est la place de Dieu ? J’aime la formule citée : il est infiniment précieux. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire qu’il apporte une certaine vision du sens de la vie, une certaine espérance, une certaine beauté qui « enchante », et une joie intérieure profonde. Le mot « enchante » contient une réelle jubilation et s’apparente au bonheur et à la joie.

    Nous pourrions dire la même chose pour toute manifestation d’amour vrai. Celui-ci n’est jamais évident même s’il est appréhendé comme  s’imposant à nous; et il n’est pas nécessaire, en ce sens que tout amour est particulier, cet amour-là n’est pas nécessaire à tout le monde. Nous en faisons l’expérience : lorsque, par exemple, un ami nous dit l’amour qu’il ressent pour telle personne et son intention de se marier, nous pensons parfois que ce n’est nullement la personne que nous aurions choisi. Et on sait combien la vie de couple demande une volonté de construire quelque chose ensemble au-delà d’un besoin qui s’imposerait à chacun.

    Alors, que nous apporte notre foi au Dieu de Jésus Christ ? Sans la prétention de vouloir tout dire nous pouvons toutefois avancer quelques éléments tirés de notre expérience chrétienne.

    Le premier sans doute est cette prise de conscience que nous sommes précieux pour Dieu, que nous sommes aimés, que nous sommes son enfant unique dans l’amour qu’il nous porte. C’est la découverte merveilleuse de tous les catéchumènes. Ils ne disent pas que leur vie était sans valeur avant d’avoir rencontré le Christ, mais ils disent que cela change tout dans leur vie. La conversion dans le beau sens du mot, ce qui nous retourne afin de voir sur notre chemin celui qui est le chemin, est toujours un moment de joie intérieure qui vient d’une cohérence et d’un accord profond avec ce que nous sommes en vérité.

    La méditation de la Parole de Dieu peut être une source de joie. Je pense que nous en avons tous fait l’expérience. Certes, certains passages de l’Écriture nous déconcertent et même nous rebutent mais cela est une bonne chose car cela nous oblige à prendre de la distance par rapport à nos habitudes, à nos façons de penser, cela nous oblige à re-situer cette parole dans un certain contexte culturel. La Parole qui décape est bonne car elle nous purifie. Souvent nous sommes éblouis par la pertinence de telle parole  de Dieu. Cette parole vient tellement coïncider avec ce que nous sommes à tel moment, que nous en éprouvons comme un éclat de bonheur et de joie. Et souvent cette joie nous habite toute la journée tant nous sommes habités et « transportés » au sens fort, par cette parole.

    Je terminerai en rappelant que des moments de prière personnelle ou communautaire ou encore des célébrations comme la participation à l’eucharistie, peuvent nous apporter un moment de joie profonde. Là encore il faut être réaliste et toute prière ou toute célébration ne provoque pas en nous la jubilation et nous sommes parfois plus agacés que comblés. Cependant certains moments privilégiés où nous sommes particulièrement disponibles à accueillir la joie de Dieu, nous laissent dans un état de joie réelle et de paix profonde. À chacun de faire mémoire de ces moments de grâce.

 

Publié dans Conférences

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